ETIENNE FREY - le chorégraphe

Difficile de distinguer à la source la part du futur danseur interprète de celle du chorégraphe créateur, tant dans le souvenir premier du besoin de se mouvoir, la conscience et la sensation d’à la fois exécuter, tracer dans l’espace et raconter est une, distincte et mêlée.

Bien avant de découvrir que la danse est un art qui peut s’apprendre et qui tel un arbre, déploie sa couronne en branches différenciées, pour l’homme artiste qui germe en lui, ces deux aspects sont intimement éprouvés comme un seul et même acte, résultant du jaillissement d’un élan unique ; il ne saurait y avoir danse sans raconter, sans se raconter, ni aller vers l’autre, donner.

A 17 ans il crée son premier ballet, Alltag, un pas de deux sur le concerto pour deux pianos de Francis Poulenc, qui sera dansé dans le cadre des Soirées Noverre à Stuttgart où il a rejoint les rangs de la prestigieuse John Cranko Schule. L’adolescent curieux et observateur se révèle être un jeune homme engagé, fortement interpellé par les agissements du monde et les choses de la vie qu’il découvre. Conscient de l’opportunité qu’il a de mener les études de son choix là où d’autres à son âge vivent un quotidien moins chanceux, travaillent déjà dans des mines, sont enrôlés de force dans des milices ou happés par les insoupçonnables formes que peut prendre la corruption ou l’avidité, le besoin de témoigner, de soutenir et faire preuve de solidarité se fait de plus en plus impérieux. Là où les mots lui semblent vains, trop facilement pervertis, habilement déviés ou dénués de leur sens, là où il se sent encore en manque de vocabulaire, d’informations et de connaissances pour oser émettre une opinion en toute légitimité, la chorégraphie semble lui offrir un véritable espace de communication, un champ privilégié et subtil pour s’essayer, pour rencontrer l’autre au-delà des mots, passer outre les lieux communs, les formules toutes faites et les convenances.

C’est le début d’une grande aventure ! Son corps se fait le lieu de premiers témoignages muets mais ô combien éloquents de l’âme qui reconnaît en lui son meilleur ambassadeur, le fidèle compagnon de voyage d’une lucidité avide de s’exprimer et participer du monde en devenir.

Dès lors, le jeune danseur va soutenir et prêter main forte au chorégraphe en devenir, l’aider à se construire. La rigueur, la force de caractère, la volonté intransigeante et quotidienne du premier, telle une bouée solidement amarrée à la surface de l’océan, va permettre au second de plonger au plus profond du mystère, de ses entrailles, de la part ombrée de lui-même, là où aucun repère extérieur n’a su générer des influences, là où le plus pur de l’être attend patiemment que sa part projetée vienne s’y saisir. Le premier sera la raison qui permet au second la folie d’explorer son chaos, de l’épouser et ainsi d’enfanter sa poésie. 

Son écriture est née de cette solidarité, de ce va-et-vient entre le danseur calligraphe servile et discipliné, refaisant mille fois vibrer le tracé d’un geste dans l’espace, et l’élan fou du poète créateur emporté par sa passion du partage, du dialogue et de son désir de rencontres et d’échanges. Car pour Etienne, l’Autre est la donne indispensable qui va rendre intelligible toutes suites parfaites de mouvements dansés, savamment choisis, agencés et répétés.

Enfant de personne et de tout le monde, nourri de cette période faste du ballet et de la scène contemporaine naissante qui s’est imposée dans le paysage culturel mondial dès les années 1980, Etienne Frey a signé plus de 60 créations. Son style ample et luxuriant respire une maturité résultant de ses nombreuses expériences dans l’intime des studios de danse, et d’autant de rencontres avec des interprètes incroyables qui, surfant avec enthousiame sur ses élans, ont indéniablement contribué à l’exploration de son imaginaire artistique et à la naissance de son écriture.