LES ANNEES SINOPIA …

Sinopia

I. Nom féminin ( de l’italien sinopia, au pluriel sinopie )
La sinopia est le nom d'un pigment de couleur rouge, provenant probablement de la région de Sinope, sur la mer Noire. Dans la peinture à fresque, une sinopia est aussi le dessin préparatoire exécuté avec ce pigment sur une première couche de mortier

II. Nom féminin ( provenant également de l’italien sinopia, mais au pluriel inconcevable! )
Dans la danse contemporaine, nom propre donné par ses membres fondateurs à un ensemble de danse indépendant, établi en Suisse de 1984 à 2002. Première compagnie à proposer des engagements à l’année à ses membres et à fonctionner par saison complète, par sa créativité et son investissement, Sinopia Ensemble de Danse a joué un rôle majeur dans le développement de l’art chorégraphique en Suisse



Genèse

Terre rouge extraite des carrières de Sinope,
une ville d’Asie mineure, la route des caravanes
Premiers tracés à même le mur, par les peintres du XVème,
l’esquisse révèle la fresque, le voyage, la renaissance

SINOPIA est née du plaisir irrésistible de danser !



Au début...

Par amitié, mais aussi par passion pour la danse, Maria Fernandez, Jean-Claude Pavailli et Etienne Frey profitent des quelques rares instants de liberté que les répétitions avec Maurice Béjart et les tournées mondiales du Ballet du XXème siècles leur laissent, pour commencer à donner forme aux envies chorégraphiques d'Etienne.

"Le Drap", premier fruit de cette complicité artistique se voit décerner un prix à l'unanimité lors du Concours International de Chorégraphie de Nyon en 1984, placé sous la présidence de Serge Lifar.  Fort de ce retour positif, le trio opte alors pour la liberté et entame un parcours individuel de soliste invité au sein de compagnies, afin de pouvoir poursuivre ce travail de création entre leurs engagements et financer de nouvelles chorégraphies. C'est finalement en octobre 1985 qu'Etienne Frey et Jean-Claude Pavailli, rejoints par les danseuses Catherine Dethy, Gaia Cupisti, Bettina Masson et leur amie Daniela Steiner à l'administration, créent l'Ensemble de Danse Sinopia, afin de vivre et partager pleinement leur passion de la danse.



Puis très vite...

"Née du plaisir irrésistible de danser" – cette mention fera partie de tous les communiqués de presse, dossiers et programmes de la compagnie – Sinopia enchaîne et crée les événements à un rythme effréné. Les danseurs se succèdent autour du noyau de base, et tous ensemble, une fois l’entrainement quotidien et les répétitions terminées, travaillent aux programmes de sensibilisation que la compagnie portera dans les écoles et les universités, mettent sur pied l’un des premiers festivals de danse contemporaine en Suisse, créent des ballets pour les Championnats du Monde d'escrime, puis ceux de ski, puis pour les galas du Prix de Lausanne, participent à l'Exposition Universelle de Séville, lancent des idées, tendent des perches en direction d’autres régions linguistiques du pays. Ils pensent que la danse est essentielle pour l’être humain et en suscitant des collaborations avec différents organismes humanitaires, cherchent à la mettre au service de causes fondamentales pour la société.

De "Underground" à "l'Audacieuse", de "Roméo et Juliette" à "Zorba" ou "Altaïr", qui reçoit le premier prix du jury et du public aux Rencontres Internationales de Vaison-la-Romaine, ce ne sont pas moins de quarante productions que cette compagnie établie de 1985 à 1999 en Suisse, à La Chaux-de-Fonds, a présentées dans le monde entier.



Un seul credo…

Le centre névralgique de Sinopia se situe alors au numéro 33 de la rue du Parc, dans... la cuisine d’un petit deux-pièces ! Pas d’ordinateur, juste une machine à écrire trouvée aux services sociaux de la ville ! Pas de portable, ni de sans fil, juste un téléphone mural et son disque rotatif, où bien souvent des doigts se sont emmêlés lorsque dans la nuit et surtout une indomptable jubilation, s’entamaient des premiers contacts avec le soleil se levant sur Tokyo et des promesses de stages, ou se couchant sur New York et d’âpres négociations pour une série de représentations au cœur d’un campus universitaire ! Pas vraiment d’appartements, mais toujours de quoi coucher tout le monde, pas vraiment de salaires, mais toujours de quoi payer les charges et le minimum social, pas vraiment de studios de danse non plus, mais toujours un espace ici où là, pour un jour ou deux, une semaine, rarement plus. Tout est à faire, demander, proposer, négocier, mais l’envie est forte ! Et les heures consacrées à créer portent haut, portent loin et procurent une joie immense !



Le plaisir de danser...

Ce plaisir irrésistible mène la compagnie – qui selon les projets et les saisons passe de 5 à 8, 12 ou 25 danseurs – en Russie, en Ecosse, aux USA, au Japon et en Corée, dans toute l'Europe, en Afrique du Nord et au gré des événements ou des contrats, à des rencontres et des collaborations fabuleuses : Yvette Chauviré, Prima Ballerina Assoluta et Rosella Hightower, Etoile des Ballets du Marquis de Cuevas à l'occasion de la création de "Harold et Maude", mais aussi Hassan, un jeune technicien passionné de littérature et de musique, qui éclaire les spectacles de la compagnie la nuit pour étudier la médecine le jour, ou l’élégant Leonide, professeur de physique à l’Université de Kiev et alpiniste chevronné, sans solde depuis un an et qui pour vivre, accompagne Sinopia en qualité de traducteur et lui fait découvrir toutes les richesses de sa culture ; ou encore cette tribu de touaregs, rencontrée en plein désert, lors d’un repos de deux jours, avec qui la compagnie va danser et chanter toute la nuit, autour d’un feu et sous une myriade d’étoiles à faire pâlir toutes les scènes du monde. D’illustres personnalités, dans la lumière des projecteurs, comme Noureev au Théâtre San Carlo de Naples lors d’un gala, Mikis Théodorakis et Vladimir Vassiliev lors de la création de "Zorba" en 1999, ou encore Marcia Haydée, Franco Zeffirelli, Placido Domingo, Ute Lemper, Jean Babilée, Jean-Louis Barrault, Susanne Linke, Alicia Alonso, et tant d’autres. Tant d’autres aussi dans l’obscurité des coulisses, dans l’anonymat des ateliers de confection ou du quotidien de la compagnie, mais qui sont toujours là, prêts à encourager et soutenir.



Les premières bougies...

A l'occasion du dixième anniversaire de Sinopia, Antoine Livio, Président de l'Association de la Presse Musicale Internationale écrivait : ..."Cette troupe nous a permis de vivre parmi les plus éblouissantes expériences chorégraphiques de ces dernières années. Sinopia poursuit sa marche, sa quête de l'absolu d'images gestuelles, belles de cette sensibilité du mouvement qui exalte la vie. Aussi je ne puis offrir à Sinopia que le souhait de lumières nouvelles pour un plein feu sur sa création, son imagination, sa volonté gourmande d'éclairer notre route d'images toniques et réconfortantes, à l'heure où l'actualité nous propose ses embûches et ses tragédies terrifiantes. Autour d'eux et grâce à eux, d'autres apprennent à incarner nos fantasmes et nos rêves. Encore une autre décade ! Et si possible une autre encore.... car il n'y a pas de terme à la foi en la création, en l'espoir en la paix, quand deux corps ou davantage réinventent la sérénité et la joie d'être ensemble."



Un tournant...

Cette seconde décade si vivement souhaitée débute comme la première, de créations en collaborations, sur les routes et les chapeaux de roues. La compagnie trouve enfin des studios répondant à ses besoins et, comble du luxe, peut également y installer un espace bureau. Fini la cuisine des débuts. Quelques saisons sur cette lancée, puis la vie s’en mêle, avec ses projets bien à elle, ses desseins et ses impondérables qui nous dépassent. Une succession de crises économiques et de restructurations drastiques malmènent la région. Les acteurs de la vie culturelle en ressentent très vite les effets ! La compagnie lutte, résiste, innove au mieux pour palier aux creux de vagues, aux restrictions budgétaires, mais elle est également déstabilisée de l’intérieur, par l’inéluctable disparition de Jean-Claude Pavailli, l’un de ses membres fondateurs.



Puis un autre...

"D’une Aube à l’Autre" chorégraphié en 1999 sur le Köln Concert de Keith Jarrett, semble dès lors annoncer prémonitoirement, au-delà de sa couleur poétique toute contenue dans le titre, l’impérieuse nécessité également d’un nouvel horizon. Simultanément, les premières répétitions de "Zorba" débutent dans les studios de la compagnie. C’est un beau projet qui lui permet de plus, d’assurer pour quelques mois son fonctionnement. Les producteurs viennent de la région suisse allemande et c’est là-bas que la première va se tenir, à quelques heures de route. Qu’à cela ne tienne ! Sinopia s’organise et affrète des autocars. La compagnie concocte pour l’occasion un week-end culturel à l’attention de son public et des fidèles. Cet élan qui témoigne avant tout d’une capacité à rester créateur et vivant, et qui fait le bonheur de la population - les cars se remplissent vite - est cependant perçu comme un fâcheux manquement par les Autorités de la région, et va révéler des désaccords qui ne trouveront pas de résolution.

Dès janvier 2000, la compagnie poursuit son travail à Genève, dans les studios de Dance Area.
"Zorba" triomphe à Zurich, devant plus de 12500 spectateurs au Kongresshaus.

Poursuivant son besoin constant d’une danse forte et théâtrale, proche des gens et engagée dans les réalités quotidiennes du monde, Sinopia collabore ensuite avec la fondation IFPD au lancement suisse de la Campagne Face to Face, associée au Fonds des Nations Unies pour la Population. Le ballet créé à cette occasion au Bâtiment des Forces Motrices à Genève, séduit les dirigeants d’organisations internationales par sa façon différente de sensibiliser et véhiculer des messages forts. L’idée d’une diffusion de grande envergure se discute en haut lieu. Une tournée de plusieurs semaines doit débuter aux Etats Unis. Une bonne partie du financement est trouvée et des dates fixées pour l’année suivante.
Tout s’arrête net un certain 11 septembre 2001 !



Une ultime pirouette...

Ce violent revers incite les membres de la compagnie à s’interroger une fois de plus sur la viabilité et l’utilité d’un projet artistique indépendant tel que le leur dans la société actuelle. Le gala "SINOPIA DANSE POUR LA VIE !" en juin 2002 au Bâtiment des Forces Motrices est une élégante réponse, qui s’élabore sous la forme d’une mosaïque chatoyante et réunit quelques uns des plus beaux rendez-vous chorégraphiques d’un répertoire développé en 18 saisons. Sinopia a été un fabuleux laboratoire, une aventure hors norme qui a permis à de nombreuses personnes de se former, devenir, trouver un chemin ; une page se tourne, une révérence se tire. Quelques mois plus tard, nés certainement du plaisir irrésistible de danser "momentanément suspendu", trois magnifiques bébés font leur apparition…
La renaissance trouve toujours son chemin!

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