ETIENNE FREY - le pédagogue

L’engouement d’Etienne Frey pour l’enseignement repose sur l’intime conviction que le plus vivant de la vie est tout entier contenu dans cette pulsion propre à tous les êtres de danser ! Et que s’abreuver à cette source est un élan tout autant vital que respirer, baîller, paresser, s’offrir aux rayons du soleil, se nourrir  ou s’allonger quand le besoin de rêves se fait irrésistiblement nécessaire.

Dans l'Antiquité, le pédagogue était cet esclave qui accompagnait l'enfant à l'école, lui portait ses affaires, lui faisait réciter ses leçons et répéter ses devoirs. Conduire, mener, accompagner, élever… tout est là ! L’homme destitué de sa liberté prend la main de l’enfant et en marchant, l’accompagne vers la connaissance. L’histoire de l’humanité est contenue dans ce seul mot ! Et ce paradoxe : en marchant, l’homme inculte mais ô combien porteur de connaissance échange avec l’enfant, inexpérimenté mais nourri de savoir. L’un semble ne pas aller sans l’autre…

Le temps et l’expérience ont amené Etienne à constater, lorsque les critères de jugement ne sont plus définis par le seul souci restrictif de l’excellence, du rendement immédiat, et par la nécessité de repérer à cette fin les individus dotés des plus extraordinaires prédispositions, combien il est possible de permettre à chacun de renouer avec cette pulsion primordiale retranchée au plus profond des cellules, et trop souvent réduite à peau de chagrin par des années d’éducation. Une éducation souvent peu à même de stimuler et encourager la découverte de sa corporéité ; A déplorer comment ce peu de considération, de bon sens et les dramatiques manquements d’une société face aux besoins élémentaires du corps – plus particulièrement en Occident - placent les individus dans une incapacité de se construire un physique pour parcourir leur vie, subvenir aux efforts quotidiens et accompagner au mieux le processus irréversible du vieillissement. A remarquer également que si bien des techniques de danse favorisent l’acquisition des fondamentaux indispensables au désir de danser, peu permettent simultanément de se façonner un corps intérieur et déjouer les obstacles laissés par de lourds héritages, qu’ils soient d’ordre social ou familial, liés à des jugements, un cumul de malentendus et de préconceptions faussant l’image de soi, à une représentation incomplète des schémas intérieurs, ou encore, à des lacunes concernant le fonctionnement des différents systèmes anatomiques.

L’approche pédagogique d’Etienne s’est développée autour de cette articulation fine et propose, tout en abordant le langage classique ou contemporain, un éventail de pratiques et d’expériences en apparence simples, qui cependant vont permettre à chacun d’aborder le corps dans son anatomie vivante, neutre et fonctionnelle, et après avoir rencontré et nommé en son for intérieur une présence souveraine, d’aborder les éléments techniques correspondant au style de danse choisi. Qu’on choisisse de la nommer âme, esprit, petite voix intérieure, jardin secret ou autre, c’est bien elle, cette interlocutrice privilégiée qui trop souvent est laissée de côté dans les cours de danse, et qui faute d’espace et de considération dans le dialogue qui s’engage, ne va pas pouvoir peser de sa force créatrice pour donner vie à l’information transmise, ni éviter qu’elle ne se fossilise dans des apparences rendant tout avenir stérile et suspendu.

Tant qu’il n’est pas invité à cheminer conjointement vers la compréhension puis la maîtrise de ses différents fonctionnements physiologiques naturels, de son schéma corporel neutre, et à utiliser son système musculaire de façon adéquate, l’individu constamment sursollicité par la complexité de l’apprentissage et les difficultés dissimulées derrière l’aisance d’un mouvement dansé, va se confronter à un manque de répondant physique qui court-circuite l’acquisition naturelle par mimétisme. Un état qui bloque automatiquement la respiration et la relation que l’être entretient avec le sol, faussant la création des connexions et des coordinations cérébro-musculaires. Ne pouvant nourrir l’effort par les élans naturels du corps, le cerveau va répondre en créant des substituts reproduisant la forme, l’enveloppe extérieure du mouvement, mais vidé de son principe actif. Au-delà de l’inconfort ressenti et des risques de lésions encourus, cette situation est d’autant plus paradoxale qu’elle offre une réponse dénaturée au désir sous-jacent qui pousse à danser : appréhender l’essence dynamique de la vie. Sans dialogue avec le sol, seul point d’ancrage avec la réalité spatio-temporelle extérieure, ni avec son hôte intime, sa souveraineté intérieure, le corps tout comme la danse, séparés de leur noyau, se retrouvent otages de techniques et de concepts appliqués à la lettre plus qu’à l’instinct. Le champ est alors libre à glisser imperceptiblement de la sincère et vitale quête d’un or pur à une illusoire contrefaçon en or plaqué !

Son plaisir à transmettre la danse et ses différentes techniques renaît chaque jour de cette qualité d’échange et de dialogue qu’elle seule permet de façon aussi complète sur tous ces plans à la fois : rencontrer son être intérieur, affiner le façonnage d’une conscience corporelle, permettre à l’âme de se familiariser avec ce véhicule incroyable qui pour un temps lui est accolé et fort d’une construction musculaire spécifique, d’un dialogue conscient avec le sol, apprendre à déplacer cette masse dans l’espace extérieur, percer les mystères de la dynamique et tracer spontanément ou de façon apprise, des circonvolutions et des entrelacs porteurs de sens. Mouvoir et émouvoir ! Quel cadeau ! Quelle joie !

Et c’est elle justement, la joie, qui plus que tout, ravive chez Etienne ce besoin d’équité, exacerbe son envie furieusement ludique d’entraîner tout le monde dans une célébration sans exclusion, une fête ou tout le monde serait alter égaux ! Peu lui importe alors si toutes les bonnes fées ne se sont pas attardées sur tous les berceaux du monde ! A l’école de la vie et de la danse, il a appris à lire les corps,  ces moitiés au service de cerveaux trop souvent formatés pour remplacer le vivant par son concept et son image, évoluant dans un temps et selon un rythme qui de fait, place le corps en situation hors-jeux. Il a appris qu’une technique de danse accompagne jusqu’aux portes de son domaine, mais que seul un entendement cellulaire et cordial passant par l’expérience d’un total lâcher-prise de l’ego, permettra d’en franchir le seuil, lorsque la maîtresse des lieux vous y invitera. Et qu’il se trame au plus profond de l’inconscient, ou déjà mûrisse dans ce « no word’s land » flou où la réflexion se cherche et petit à petit prend forme, l’enjeu est de taille ! Car à l’individu qui, à force de tenacité et constance, aura appris à doser et gérer le subtil équilibre entre les rythmes organiques du corps et les fulgurances de la pensée à parts égales, aura éveillé et uni l’entier potentiel de ses facultés physiques à ses qualités psychiques, cognitives et émotionnelles, la danse offre le plus précieux tremplin afin de plonger dans la vie, et faire une avec elle ! Elle, la vie ! Elle, la danse ! Elles…. un singulier pluriel(les) !

Qu’il s’adresse à des étudiants futurs professionnels, des danseurs avertis ou des adultes amateurs, tout en transmettant avec fidélité les plus élémentaires bases fondamentales, ou déjà le vocabulaire subtil et les articulations plus élaborées amenant à la maitrîse ou à l’entretien de la grande technique, il invite chacun à privilégier en premier lieu une relation fiable et saine avec son corps, reposant sur l’observation et le respect du vivant. Et une fois déjouée toute la panoplie des réticences dont l’individu use et abuse lorsqu’il s’agit de marcher - danser ! - vers un mieux-être et une liberté hautement désirée, à rencontrer et épouser sa moitié ailée, permettant ainsi de devenir un artiste interprète du dialogue amoureux entre la danse et un chorégraphe, mais aussi et surtout un créateur et un individu souverain. Faisant pirouetter avec respect les mots de l’illustre Comte de Buffon qui attribue au cheval le statut de plus noble conquête de l’homme, il invite le danseur à rendre au cheval sa liberté et faire de son corps la plus noble des conquêtes !
 
Platon disait qu’un être rencontre la sérénité lorsqu’il a construit une maison, écrit un livre et planté un arbre ! Pour Etienne, il ne saurait y avoir de plus grand bonheur que celui d’accompagner quelqu’un vers la liberté que procure la découverte et l’apprivoisement de cette moitié si farouche et sauvage de son être ! Ni de plus délicieuse sérénité que d’entrevoir alors dans ses yeux, jaillir le ravissement mêlé à la lutte pudique qui se joue pour contenir une explosion de joie. A cette instant précis, il sait qu’il fait de chaque studio de danse une maison, que ses cours sont autant de livres qui s’écrivent dans les cellules et les muscles de ses étudiants, et les mouvements partagés, des arbres profondément plantés au cœur de leur ventre, là où la terre est toujours humus fertile.

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