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JEE-CEE !

Lorsque j’ai rejoint le Ballet du XXème Siècle, Jean-Claude y dansait déjà depuis plusieurs saisons. Au fil des tournées, des trajets en avion, en bateau, en autocar, des halls d’aéroport, des chambres et des bars d’hôtel, nous avons fait connaissance en refaisant le monde que nous parcourions. Le danseur était un diamant ciselé à la stricte école de l’Opéra de Paris ; l’homme tenait plus du bad boy rebelle, un rien désabusé, à la façon James Dean; et le mélange des deux, comme tout métissage, était fascinant ! Un jour je lui ai demandé de passer un peu de temps en studio pour esquisser des mouvements sur une musique qui ne me lâchait pas. Il a dit oui et pour la première fois, j’avais devant moi un “vrai” danseur. J’avais bien chorégraphié quelques pièces auparavant, mais avec des élèves d’école. Là, je me suis soudainement retrouvé en face d’une Rolls, d’une Ferrari Testarossa de la danse, d’un pur-sang que rien n’arrêtait. J’ai senti monter en moi l’ivresse d’être face au partenaire idéal pour m’accompagner dans ces expéditions en territoires intimes, en quête du chorégraphe que je pressentais, et savais devoir aller débusquer dans des profondeurs encore inconnues de moi. Au quart de seconde il captait chaque frémissement de mon corps, rendant le sien réceptif à la moindre de mes intentions. Il offrait à ma vue un rendu instantané d’une telle clarté qu’immédiatement je pouvais valider ou modifier mes élans. Un changement de catégorie radical ! Et de ce premier essai, rapidement transformé en rendez-vous réguliers, a jailli petit à petit une écriture. Nous avons quitté la compagnie quelques mois après et nous sommes lancés dans une aventure qui s’est répandue en dizaine de ballets.

Elle s’est interrompue lorsqu’il a changé de planète, un 3 juillet 1995, emportant avec lui la partie qui lui revenait de nos vies, de nos souvenirs, de nos fou-rires aussi, mais rien de cet irrésistible plaisir de danser qui a présidé à notre rencontre. Un matin au réveil, peu après son départ, je me suis senti différent. Physiquement et cellulairement transformé, comme si de l’intérieur mon être danseur avait subitement changé de qualité de conscience. Quelques jours plus tard, à l’issue d’une représentation - la première à ne plus partager la scène avec lui - des amis ont dit l’avoir vu à travers mon corps et ma danse, dans un délié de mouvement que je n’avais jamais su rendre auparavant de la sorte et qui, effectivement, était vraiment tout lui… Cadeau !
 
De lui je peux réellement dire qu’il a énormément contribué à faire de moi l’artiste que je suis. Ensemble nous avons touché la danse du doigt… Merci Jee-Cee ! Cheers Man!

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