MERCI ETIENNE

Merci Etienne pour ces quinze merveilleuses années que vous venez de nous faire passer. Merci !

Vous le savez, j’ai toujours admiré votre insolence, votre esprit libre, votre transparence, votre profondeur, votre poésie si délicate et limpide.

Vous le savez, j’aime feuilleter le livre de ces quinze ans de souvenirs et de créations à la Chaux-de-Fonds. Tout a été beau, rien n’a été laid. Aucun moment de faiblesse dans votre imagination créatrice. Vous surprenez toujours. Pour vous, ce n’est pas un jeu, une envie de plaire, mais la simple marche, la simple grimpe, sur ce raidillon assez escarpé, que vous avez choisi dans vos collines boisées, celui de la danse.

Vous le savez, j’ai toujours admiré votre courage. Rien n’a été facile pendant ces quinze ans, tout a été très difficile. Vous avez su avec une émouvante simplicité ne jamais vous laisser abattre. Dans la volubilité de vos tours, dans la surprenante déraison de vos sauts, vous avez su trouver une force qui vous a toujours maintenu hors des problèmes du temps. Vous vous êtes complu dans ce cocon peu confortable, vous semblez ne jamais retomber. Où avez-vous trouvé cette force de caractère ?

Et puis voilà qu’au bout de quinze années de créations à la Chaux-de-Fonds, vous décidez de partir pour Genève. Sans scandale, sans tromperie aucune. Oh, vous n’êtes pas le premier partant. Voyons, réfléchissons un peu… Il y a déjà eu Le Corbusier, Chevrolet, Cendrars.
Vous serez donc le quatrième à avoir votre rue dans votre ville. Avant, il faut partir.

Mais vous avez voulu partir en beauté, avec d’une Aube à l’Autre. Quel beau ballet ! Encore un des ces petits chefs-d’œuvre dont vous avez le secret. Sur le fameux concert de Köln de Keith Jarrett, quatre danseurs, Lucy Nightingale, Violaine Roth, Robert Russell et vous-même, font une magnifique démonstration de tous les enchaînements qui ont fait vos succès. Mais il n’y a pas que la technique, il y a l’interprétation. Avec la méticulosité d’un horloger, vous prenez soin à ce que tout s’accroche au millimètre près. Contrairement à ce qu’un spectateur nouveau pourrait croire, vous ne supportez pas l’imprévu. Tout doit être imaginé, conçu, testé, vérifié pendant les répétitions.

Mais la Chaux-de-Fonds n’était qu’un port d’attache. Vous avec bien bourlingué à travers le monde. Partout où vous êtes passé, toujours discrètement, partout vous avez plu, partout on vous redemande. L’année dernière encore, vous avez conquis les Genevois avec cette Bayadère extraordinaire. Je ne m’inquiète pas pour votre avenir, il sera des plus brillants.

Pour le moment, Etienne, je me remémore vos ballets avec plaisir et émotion : c’est peut-être là votre secret. Vous arrivez à mettre dans la danse ce que d’autres chorégraphes n’imaginent même pas : ces lignes discrètement géométriques propulsées par votre intelligence de poète, cette espèce de suavité qui sort directement de votre cœur. Oui, Etienne, votre danse est une magnifique et fragile Sinopia qui franchira les siècles.

 

Michel ODIN

DANSE Conservatoire
European Dance News - Décembre 1999, n°124